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 Le jeu secret des forces transpersonnelles et l’illusion du libre arbitre
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La tradition spirituelle in-dienne distingue trois faces de la réalité divine : le Transcendant, l’Universel et l’Immanent – un triptyque que l’on retrouve, sous d’autres formes, dans la Trinité chrétienne ou la kabbale hébraïque. Toute compréhension intégrale de l’homme et du cosmos suppose une conscience simultanée de ces trois pôles. Le Transcendant fonde l’au-delà de tout, principe immobile et absolu ; l’Universel est le lien qui relie toute chose au tout, l’âme du monde, le champ unifié de la Vie ; l’Immanent, enfin, est le divin intérieur, le cœur vivant de chaque être, sa singularité incarnée.
C’est en perdant de vue cette architecture subtile que l’humanité a sombré dans l’oubli de soi. Amnésique de sa nature céleste, elle subit les forces planétaires au lieu de les intégrer. Car en vérité, chaque fonction astrologique est le reflet d’une puissance divine que l’homme est appelé à révéler en conscience. Tant que Mercure n’est pas intégré, le mental reste erratique, prisonnier de ses identifications multiples. Tant que Mars n’est pas purifié, l’action demeure pulsionnelle, tributaire de la peur ou de l’orgueil. Tant que Vénus n’est pas éveillée, l’amour se travestit en dépendance ou en séduction manipulatoire.
L’individuation véritable commence lorsque le Moi cesse d’être un agrégat de fonctions en compétition (les sous-personnalités planétaires), pour devenir le témoin actif et ordonnateur de leur orchestration intérieure. Le Soi, ou centre transpersonnel, naît de cette alchimie : lorsque les planètes cessent de vivre pour elles-mêmes et deviennent les instruments d’une conscience unifiée, traversée de part en part par la lumière du Tout.
Ce lien entre le haut et le bas, entre le céleste et le terrestre, constitue le socle métaphysique de toute astrologie véritable. La Table d’émeraude d’Hermès Trismégiste, texte fondateur de l’hermétisme, en résume l’essence : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. » Cette maxime pose le principe d’analogie universelle : l’homme est le miroir du cosmos, et chaque mouvement céleste trouve son écho dans l’intériorité humaine.
Or cette correspondance n’est pas linéaire, ni mécanique. Car dans notre condition terrestre, les forces originelles, divines, subissent une altération. La chute dans la densité matérielle, dans la division et l’oubli de soi, a rompu l’unité première. Ainsi, les plans de conscience supérieurs sont perçus à travers le prisme déformant de la psyché humaine : tout y est inversé, dévié, fragmenté. Les fonctions planétaires, reflets d’archétypes cosmiques, agissent alors comme des sous-personnalités autonomes, souvent en conflit les unes avec les autres. L’ego, censé centraliser et intégrer ces forces, se retrouve débordé, pris dans des luttes internes qu’il ne comprend pas.
C’est là que réside la grande tragédie de l’incarnation : l’homme est porteur de puissances qui le dépassent, mais il en est souvent le jouet plutôt que le maître. Sa structure psychique, son histoire familiale, les empreintes de l’inconscient collectif, les carences et traumatismes de l’enfance viennent brouiller les lignes de force de son thème natal. L’ordre cosmique inscrit dans sa carte de naissance se heurte au chaos des conditionnements terrestres. La désorganisation intérieure, les conflits non résolus entre planètes dominantes, les compensations narcissiques ou les inhibitions profondes déforment l’expression des archétypes.
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Pathologie de l’incarnation et expression archétypale du crime          Â
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Dans cette perspective, la criminalité peut être comprise non pas comme une anomalie isolée, mais comme l’aboutissement extrême d’un déséquilibre structurel : une disjonction prolongée entre l’ordre céleste et l’état de conscience incarné. La planète dominante devient alors tyrannique, l’énergie refoulée explose, les tensions non intégrées se cristallisent en actes destructeurs. Loin d’excuser ou de minimiser les faits, cette lecture offre un cadre de compréhension symbolique et profond, où la responsabilité personnelle n’est pas niée, mais resituée dans une architecture plus vaste.
Ainsi, étudier l’astrologie criminelle, c’est en réalité interroger l’échec de l’incarnation. C’est scruter les zones d’ombre où l’âme, empêchée d’émerger, laisse la place à des forces impersonnelles agissant à travers un Moi fragmenté. C’est, peut-être aussi, redonner sens à la notion même de rédemption, en envisageant la chute non comme une fin, mais comme un point d’appui pour un possible retournement.
C’est là que l’astrologie retrouve sa vocation première : non pas prédire, mais révéler. Non pas juger mais comprendre. Et surtout, rappeler inlassablement que derrière chaque trajectoire, aussi sombre soit-elle, se cache un ciel d’origine – une promesse de lumière, à reconquérir, au profit d’un tout collectif, qui dépasse la question du salut individuel.Â
Cela implique un déplacement du regard. Tant que l’astrologie demeure enfermée dans des fonctions descriptives ou prédictives, elle reste aveugle à sa portée véritable : celle d’un outil d’observation symbolique des dynamiques psychiques. Il ne s’agit ni d’inventorier un potentiel, ni de prédire un avenir, mais de lire, dans le langage des astres, les tensions, les clivages, les écarts qui traversent l’être.
Le crime, dans sa radicalité, rend visible l’une de ces fractures. Il marque la rupture d’un équilibre, le débordement de la conscience par des forces qu’elle n’a pas su contenir : conflit non résolu entre l’instinct et l’idéal, entre le pulsionnel et le surhumain.
Les planètes ne jugent pas. Elles révèlent. Elles ne punissent pas. Elles montrent. Leur langage est celui d’un théâtre sacré dont les archétypes sont les rôles, les aspects les dialogues, les transits les retournements de situation. L’astrologue, en ce sens, n’est ni un moraliste ni un voyant. Il est un lecteur de partitions. Et parfois, dans le chaos d’un thème, il décèle l’écho d’une harmonie brisée, l’appel d’un centre perdu.
L’étude des tueurs en série, des criminels pathologiques, des profils extrêmes, pousse l’astrologie dans ses retranchements. Elle oblige à interroger les limites de la représentation symbolique. Car parfois, le mal semble pur, irrémédiable, vide de toute lumière. Mais là encore, l’astrologie invite à dépasser l’horreur sans la nier. Elle demande de regarder les ténèbres avec les yeux du mythe : non pour relativiser, mais pour comprendre ce que la psyché humaine, coupée de sa source, devient quand elle n’a plus accès à son ciel.
Ce travail, que nous poursuivons, est donc à la fois une enquête, une contemplation et une reconstruction. Il ne vise pas à justifier l’injustifiable, mais à cartographier les zones d’effondrement de l’âme humaine. À reconstituer, pièce après pièce, le chemin qui va de la scission à la réunification. À redonner sens, par l’astrologie, à ce que le monde moderne ne sait plus nommer : la chute, la faute, la transgression – mais aussi la possibilité d’une transmutation.
L’ombre astrologique d’un criminel n’est pas une fatalité. Elle est un cri non entendu. Une fonction non intégrée. Un archétype déréglé. Et derrière ce cri, parfois, gît une vérité plus vaste que l’horreur elle-même : celle d’un être qui, ayant perdu le chant du ciel, cherche malgré lui à s’en faire entendre l’écho, même distordu, même tragique.
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Les transits astrologiques, et parfois les progressions, agissent comme des révélateurs précis, éclairant de manière ponctuelle certaines zones spécifiques du thème natal, mettant en lumière des dynamiques psychiques restées latentes ou obscurcies. Dans le cadre précis de l'astrocriminologie, cette mise en évidence astrale fournit des clés essentielles à la compréhension des mobiles criminels ou de l’émergence de ce que l'on pourrait appeler un « karma psychologique », entendu ici comme l’irruption dans le réel d’une problématique psychique inconsciente, impossible à intégrer pleinement par le sujet. Peu importe notre conception personnelle de l’évolution ou de la réincarnation, ce mécanisme fondamental est observable comme une constante clinique.
 Il nous paraît essentiel d’intégrer en astrologie le paradigme Jungien, qui consiste à voir que les événements sombres, tragiques ou avec lesquels nous frayons difficilement, ne sont que les manifestations extériorisées de contenus inconscients, non décantés, non intégrés ou même refusés.
« Tout ce qui ne vient pas à la conscience… Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même… Ce que nous évitons de reconnaître en nous-mêmes, nous le rencontrons plus tard sous la forme du destin. »
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 Carl Gustav Jung
Luc Bigé  précise cette conception de façon très pertinente, bien qu’il l’inscrive dans une réflexion plus générale sur la symbolique astrologique :
« Les structures psychiques qui n’accèdent pas à la lumière de la conscience ont un pouvoir organisateur sur les circonstances extérieures de notre vie et attirent à elles les événements dont nous avons besoin, comme autant de miroirs magiques révélateurs de notre nature profonde. Cette proposition est, à nos yeux, la seule qui puisse justifier une lecture événementielle du thème de naissance : les événements sont des miroirs de notre inconscient en devenir de réalisation consciente. (…) Le monde extérieur objectif est le miroir du royaume intérieur subjectif. C’est sur ce postulat que repose la possibilité de toute analyse symbolique. Les événements correspondent à nos plus intimes pensées : ceci explique le fait que l’astrologie événementielle fonctionne. Mais ce ne sont pas les astres qui créent les événements, c’est nous-mêmes qui les « attirons » par les mouvements énergétiques, conscients ou non, qui vivent à l’intérieur de notre psychisme. »
Si nous souscrivons dans une large mesure à ce que dit Luc Bigé, nous nuancerons toutefois cette grille de lecture en précisant que les astres résident simultanément en nous-mêmes et hors de nous-mêmes ; ils habitent autant notre intériorité que tout ce qui existe. Cette précision insiste sur la simultanéité des « opérations » cosmiques, dont l’origine ne saurait être uniquement attribuée à notre inconscient, mais découle également d’une organisation supracosmique œuvrant, avec une parfaite synchronicité, de l’intérieur et de l’extérieur, en chacun et en tout. Ainsi, tous les événements et contingences de nos existences ne peuvent constituer le miroir exact et intégral de l’enchevêtrement complexe de nos tendances conscientes et inconscientes, ni refléter exclusivement les lignes singulières de notre organigramme psychique. Nous pensons plutôt que l’univers exerce sur nous une pression évolutive qui transcende nos propres finalités, sachant qu’à partir du moment où nous entrons en interaction avec les trois planètes trans-personnelles (Uranus, Neptune et Pluton), des lois inconnues et des nécessités cachées se mettent en œuvre depuis les coulisses mêmes de l’évolution, en fonction d’une totalité qui dépasse infiniment notre entendement. Ni le déterminisme absolu ni un libre arbitre souverain ne sauraient donc entièrement rendre compte d’un processus global reliant indissociablement notre vécu personnel à celui de la Nature cosmique, objet d’étude privilégié de l’astrologie.
« La manière dont nous nous représentons le libre arbitre a tendance à être viciée par l’individualisme excessif de l’ego humain et à revêtir l’apparence d’une volonté indépendante qui agirait isolément, pour son propre compte, dans une totale liberté où elle ne serait déterminée que par son propre choix et son mouvement propre sans rapport avec autre chose. Cette conception néglige le fait que notre être naturel fait partie de la Nature cosmique et que notre être spirituel n’existe que par la Transcendance suprême. Notre être total ne peut se dégager de sa sujétion au fait de la Nature actuelle qu’en s’identifiant avec une Vérité plus grande et une nature plus grande. Même dans un état de complète liberté, la volonté de l’individu ne pourrait agir dans l’indépendance et l’isolement, parce que l’être et la nature individuels sont inclus dans l’Être et la Nature universels, et dépendent de la Transcendance qui tout gouverne. »
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 Sri AurobindoÂ
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